La proposition de loi sur le devoir de vigilance a été examinée en seconde lecture par les sénateurs. Mais c’est une version fortement modifiée qui a été adoptée par la majorité de droite qui compose le Sénat. Celle-ci se cantonne à une obligation de transparence et supprime toute idée de sanction en cas de manquement. Cependant, le gouvernement, par la voix du ministre de l'Économie, est venu soutenir le texte initialement voté par les députés.

Cette fois, le Sénat n’a pas totalement vidé de sa substance le texte de la proposition de loi sur le devoir de vigilance comme cela avait été le cas en première  lecture. Mais il l’a profondément modifié (comme en atteste le dossier législatif).
Le texte, adopté jeudi 13 octobre par les sénateurs, en majorité de droite, s’inspire essentiellement de la directive européenne sur le reporting extra-financier, que la France a l’obligation de transposer avant le 6 décembre 2016. Il mise sur "l’incitation" plutôt que sur "l’approche coercitive et punitive" du texte voté il y a quelques mois par les députés, "bourré d’incertitudes juridiques et constitutionnelles" selon Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois pour le Sénat, lors des débats.

Absence de sanction



Que propose cette nouvelle version ? Elle modifie à la fois l’objectif et le champ d’application de la proposition de loi initiale.  
– Elle demande la simple publication d’un rapport présentant les principaux risques en matière d’atteinte aux droits de l’Homme, d’environnement ou de corruption, ainsi que les "mesures de vigilance raisonnables" destinées à les détecter et à les prévenir. 
– En cas de manquement à cette obligation de publication, il n’est plus fait mention de "l’engagement de la responsabilité de l’auteur" du manquement. Les sénateurs suppriment également l’amende civile plafonnée à 10 millions d’euros prévue par les députés, la jugeant "disproportionnée" et donc sujette à inconstitutionnalité. A la place, ils ont recours au mécanisme "d’injonction de faire [ici de publier] sous astreinte", classiquement utilisé en droit des sociétés en cas de manquement d’une société à ses obligations de publicité. En clair, il s’agira seulement de rendre public le rapport en question.
– Elle s’appliquera aux sociétés cotées dont le siège social est fixé sur le territoire français et à l’étranger, qui "réalisent un total de bilan de plus de 20 millions d’euros ou un montant net de chiffre d’affaires de plus de 40 millions d’euros" et emploient au moins 500 salariés permanents. Le texte des députés cible lui les entreprises françaises de plus de 5 000 salariés en France ou de 10 000 salariés, en France et à l’étranger.
– Elle repousse les conditions d’entrée en vigueur de la loi sur l’exercice 2017.
Cette nouvelle version est loin de satisfaire les parlementaires socialistes et écologistes, pas plus que les ONG qui ont été à l’origine de la proposition de loi (Forum citoyen pour la RSE, Sherpa, CCFD-Terre Soldaire, Collectif éthique sur l’étiquette, Les Amis de la Terre, Action Aid, Amnesty International, etc.) avec le député Dominique Potier.
"Cette étape au Sénat n’est pas une surprise, mais elle dénature totalement le contenu et l’esprit de la proposition de loi en se contentant de copier-coller la directive européenne sur le reporting extra-financier. Son intérêt est cependant de porter au débat ce sujet et de montrer, comme avec l’intervention de Serge Dassault (Les Républicains), le mur auquel nous nous heurtons quand nous parlons de la responsabilité des entreprises en termes de respect des droits humains", souligne Carole Peychaud, chargée de plaidoyer Responsabilité sociale et environnementale des entreprises pour le CCFD – Terre solidaire.

Et maintenant ?



Le texte du sénat étant profondément différent de celui voté à l’assemblée en 2ème lecture, une commission mixte paritaire doit désormais être réunie au plus vite. Celle-ci devrait cependant échouer au vu des positions des différentes chambres. Ce sera alors à l’Assemblée nationale de trancher. Mais avant la fin de l’exercice parlementaire de la mandature (fin février), pour que le texte ait une chance de passer.
Si c’est le cas, c’est la version plus contraignante qui devrait donc obtenir gain de cause. Et ce avec le soutien du gouvernement. Pour la première fois, le ministre de l’Economie est en effet venu s’exprimer lors de l’examen de la PPL. "Le gouvernement est pleinement engagé" dans la proposition de loi sur le devoir de vigilance telle qu’adoptée par les députés, a assuré  Michel Sapin. Celle-ci "va dans le bon sens", a-t-il souligné.
Mais  le texte initial pourrait tout de même subir quelques "ajustements rédactionnels" pour le rendre "juridiquement irréprochable" et "efficace d’un point de vue économique", ajoute le ministre. "Les sanctions en cas de non-respect des obligations ne devront pas être disproportionnées" et "les contours de la responsabilité devront être précisés", a ainsi déclaré le ministre de l’Économie.
Les ONG ont déjà prévenu : si cette sanction "saute", elles ne soutiendront plus le texte.

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