Collectif Éthique sur l’étiquette

Anti-jeu (2016) : ce que nous répond Nike



La réponse globale de Nike, généraliste et sans éléments concrets, est très décevante et loin d’être à la hauteur de ce que l’on est en droit d’attendre du leader mondial du secteur des vêtements et des chaussures de sportswear, 20 ans après le scandale qui l’a ébranlé en 1996, et le constat que les déclarations d’ "éthique" ne suffisent pas. Son refus de dialogue avec le Collectif Ethique sur l’étiquette le place à l’arrière-garde des acteurs du secteur.

Nike axe l’essentiel de sa réponse sur des relatifs à la responsabilité…de ses sous-traitants, et des travailleurs. A aucun moment la marque n’évoque sa propre responsabilité de donneur d’ordres, sa puissance économique, ou la mise en œuvre de mesures impliquant une modification de son modèle économique. Les termes "collaboration", "engagement" ou "partenariat" avec ses sous-traitants, avec les ONG, ne nous trompent pas. Les mots n’ont pas le pouvoir de dévoyer la réalité. Appeler un sous-traitant "partenaire" ne change pas, dans les faits, la relation de subordination qui existe entre les deux entités. Nike en ce sens, ne répond pas comme une marque responsable.

Dans sa réponse :

 Nike dit être engagé à travailler de manière permanente à l’amélioration des conditions de travail et des normes environnementale dans ses chaînes d’approvisionnement, y compris en ce qui concerne la garantie d’un salaire décent, et mener une politique d’approvisionnement responsable

Nous répondons que les déclarations des multinationales n’ont depuis bien longtemps plus d’effet sur la société civile ou sur les consommateurs, qui en ont constaté l’inutilité si elles ne sont pas suivies d’effet. Et alerte Nike sur le social washing.

 Nike dit que valoriser les ouvriers permettra un "bouleversement" concernant la rémunération, les heures supplémentaires, les conditions de travail et l’engagement des travailleurs. Nike répond tout à fait sérieusement qu’il mène des programmes pilotes pour "tester l’engagement des travailleurs", leur fournir des smartphones "pour qu’ils communiquent sur leur bien-être".

Nous répondons à Nike qu’il se trompe de combat, de paradigme et fait preuve d’un cynisme que nous pensions oublié. Les travailleurs ne sont pas le problème, et n’ont que faire d’être valorisés. Ils ont à cœur que leur droit à une vie décente soit respecté, surtout lorsqu’ils contribuent à la performance économique de l’une des multinationales les plus puissantes du monde. L’engagement des travailleurs est un objectif pour Nike, lié à la productivité ; il est une manière bien cynique d’inverser le problème et ne pas considérer son obligation à garantir que son activité économique ne se traduise pas par de violations des droits humains au travail. Un ouvrier heureux n’est pas un ouvrier motivé ; un ouvrier heureux est un ouvrier dont les droits fondamentaux sont respectés, celui à vivre dignement du fruit de son travail en est un. Nike doit cesser de considérer les travailleurs comme un facteur de production identique au facteur capital.

 Nike indique que 86% de ses usines ont atteint une cote de performance qui démontre leur engagement envers la valorisation des travailleurs et l’amélioration des normes environnementales.

Nous répondons que la notation des sous-traitants par un système interne peut répondre à des enjeux de performance pour l’entreprise, mais ne peut constituer une réponse acceptable à la question des droits humains au travail. Dans la relation commerciale, c’est bien le donneur d‘ordre qui a un ascendant économique, et donc la responsabilité des impacts de ses pratiques d’achat sur les conditions de travail chez les sous-traitants qu’il emploie – nous n’apprenons pas à Nike que la pression sur les coûts de production se répercute sur les salaires des ouvriers qu’il emploie.
En aucun cas mesurer les performance ou la "conformité" de ses sous-traitants ne dédouane la marque, qui doit adopter des pratiques d’achats permettant le respect des droits fondamentaux.

 Nike indique qu’ils sont une des premières multinationales à mener une politique de transparence tout le long de leur chaîne de sous-traitance, en publiant la liste de ses fournisseurs

Nous répondons que si cette transparence est avérée, et que si elle est un pas satisfaisant, la publication de la liste de ses fournisseurs est une réponse de la marque à la pression de la société civile et des consommateurs qui la revendiquaient depuis les années 90. Cette relative transparence ne dit rien des différents rangs de sous-traitance, et encore moins des conditions de travail ou de rémunération dans ces usines.

 Nike dit être conscient du travail restant à effectuer, mais que c’est le partenariat avec les ONG, syndicats, ouvriers, autres marques, gouvernements qui les aidera à imposer un changement durable

Nous répondons qu’il ne faut confondre les rôles ; ONG, donneurs d’ordre, gouvernement, ouvriers (!) ne poursuivent bien entendu pas les mêmes objectifs, ne sont pas dotés des mêmes pouvoirs – et donc de responsabilités. Il est également cynique d’invoquer un partenariat entre une multinationale et les ouvriers de sa chaîne d’approvisionnement situés dans des pays où leurs salaires ne leurs permettent pas d’acheter les produits qu’ils réalisent. Ni les affirmations incantatoires, ni le changement de vocabulaire, ni les appels à "partenariat" ne masquent la réalité de la relation économique, du pouvoir des multinationales et de l’impact potentiellement néfaste de leurs activités sur les droits fondamentaux – et donc de leur immense responsabilité à ne pas entraver leur réalisation.

 Nike indique mener régulièrement des audits sociaux dans ses usines, et mettre en oeuvre les mesures correctives nécessaires

Nous répondons que 20 ans d’audits sociaux et de mesures volontaires ont donnéle Rana Plaza : un immeuble qui s’est effondré sur 4000 ouvrières gagnant des salaires de misère, en tuant 1138 d’entre elles ; des violations massives des droits humains au travail dans le secteur de la confection de vêtements, et des salaires encore parmi les plus bas du monde. Les milieux de la RSE eux-mêmes reconnaissent l’inefficacité des audits sociaux à prévenir les risques ; ce sont les pratiques d’achat qu’il faut faire évoluer, pour permettre que ces audits sociaux soient "en conformité". Nike ne peut ignorer cela.

 Nike indique avoir mise en place un système de lean management imposé à toutes les ressources

Nous répondons que le lean management et avant tout un système d’”optimisation” du système de production, qui se traduit souvent par une minimisation des coûts de production – au premier rang desquels le salaire. Nous répondons que ce n’est pas au travailleur de s’assurer un salaire décent en multipliant les heures supplémentaires ou en améliorant sa productivité pour arracher des bonus. C’est son salaire de base qui doit au minimum lui permettre de subvenir à ses besoins fondamentaux et à ceux de sa famille. Ce dernier doit être assuré, si l’Etat est défaillant et le salaire minimum légal négocié non vital, par le donneur d’ordre dans la construction de son prix de production imposé au fournisseur.

La réponse complète de Nike, adressée à Business and Human rights ici